La phase diocésaine du procès de béatification du serviteur de Dieu le cardinal Grégoire Pierre XV Agagianian (1895-1971) s’est ouverte ce vendredi 28 octobre à Rome. Ce prélat, qui fut modérateur lors du Concile Vatican II et préfet de la Congrégation pour la Propagation de la foi, a toujours su se montrer proche des fidèles arméniens, en particulier ceux de la diaspora.
Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
La date n’a pas été choisie au hasard. Le 28 octobre, l’Église universelle fête les saints apôtres Simon et Jude, ce dernier étant considéré par la tradition arménienne comme fondatrice de son Église avec l’apôtre Barthélémy.
C’est donc sous la protection d’un saint particulièrement important pour les catholiques d’Arménie que s’est ouverte l’enquête diocésaine sur la vie, les vertus héroïques et la réputation de sainteté et de signes du serviteur de Dieu Grégoire Pierre XV Agagianian, cardinal de la Sainte Église romaine et Catholicos Patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques.
La cérémonie s’est déroulée en la basilique Saint-Jean de Latran, en présence notamment du cardinal vicaire du diocèse de Rome, Angelo de Donatis, du postulateur de la cause du cardinal Agagianian, fra Carlo Calloni, également postulateur général de l’ordre des frères mineurs capucins, et de l’actuel patriarche de Cilicie des Arméniens, Sa Béatitude Raphaël Bedros XXI Minassian.
De l’Empire russe à Rome
Le parcours du cardinal Grégoire-Pierre XV Agagianian est pour le moins complexe et atypique. Il est né le 18 septembre 1895 à Akhaltsikhe, dans l’Empire russe, sur le territoire de l’actuelle Géorgie. Envoyé à Rome pour terminer ses études à l’université pontificale urbanienne, il est ordonné prêtre dans la Ville éternelle le 23 décembre 1917. Il y demeure jusqu’à l’obtention de son doctorat, puis retourne pour une courte période à Tbilissi, en Géorgie, comme curé, avant de revenir à Rome, où il est nommé vice-recteur puis recteur du Collège pontifical arménien. Il est également chargé de cours, puis recteur de l’université pontificale urbanienne, où il a enseigné la cosmologie et la théologie sacramentelle. Outre l’arménien, il parlait couramment l’italien, le français, l’anglais, le géorgien, le russe, le latin et le grec.
Le 11 juillet 1935, le Pape Pie XI nomme ce polyglotte évêque titulaire de Comana, en Arménie, et nonce apostolique au Liban. Le 30 novembre 1937, il est élu Catholicos Patriarche de Cilicie (c’est-à-dire chef de l’Église arménienne-catholique) par le Synode des évêques de l’Église catholique arménienne, et confirmé par le Saint-Père le 13 décembre 1937, prenant le nom de Grégoire Pierre XV. Traditionnellement, tous les patriarches arméniens catholiques ajoutent en effet le nom Bedros (Pierre) à leur prénom de baptême, suivi de l’ordinal.
« Sous sa direction avisée, a rappelé le postulateur, fra Carlo Calloni, cité sur le site du diocèse de Romel’Église catholique arménienne a retrouvé son prestige et son importance au sein de la diaspora arménienne après les événements troublés et sanglants du génocide arménien de 1915». Dans le contexte de la reconstruction des communautés ecclésiales dispersées et affaiblies par le génocide, il est ainsi reconnu comme un pilier de la diaspora armée catholique, présente notamment au Liban.
Le premier «papabile» issu d’une Église orientale
En 1946, il est créé cardinal par le pape Pie XII, avec le titre de cardinal-prêtre de Saint-Barthélémy-en-l’Île (à l’époque, le rang de cardinal-patriarche n’existait pas encore). Lors des conclaves de 1958 et 1963, il aurait été le premier papabile issu d’une Église orientale, et le seul à ce jour. Mais des rumeurs le soupçonnant d’une proximité avec l’URSS auraient mis à mal ses chances d’être élues.
Remarqué pour ses compétences juridiques, il est nommé en 1955 président de la Commission pontificale pour la rédaction du Code oriental de droit canonique. Il démissionne alors du gouvernement pastoral du Patriarcat arménien pour se consacrer à sa nouvelle fonction. En 1960, le cardinal Agagianian devient préfet de la Congrégation pour la Propagation de la Foi, ou Propaganda Fide, aujourd’hui devenu Dicastère pour l’évangélisation. «Dans cette fonction, il a suivi de près la formation des missionnaires catholiques à travers le monde et a été largement responsable de la remise des politiques de l’Église dans les pays en développement», a souligné fra Calloni.
Au service de l’Église universelle
Le 25 août 1962, il renonce au patriarcat et s’installe définitivement à Rome. Saint Paul VI le nomme membre de la commission directive, autrement dit modérateur du Concile Vatican II (1962-1965) avec les cardinaux Leo Joseph Suenens, Julius Dopfner et Giacomo Lercaro. Il joue un rôle important dans la préparation du décret missionnaire Ad gentes et de la constitution pastorale Gaudium et spes.
Le 19 octobre 1970, il démissionne de son poste de préfet de Propaganda Fide et est nommé cardinal-évêque du diocèse suburbicaire d’Albano. Il se retire au Collège pontifical arménien de Rome. Ce fidèle serviteur de l’Église et de son peuple d’origine meurt à 75 ans, le 16 mai 1971, après une courte maladie. Il repose dans l’église arménienne de Saint-Nicolas de Tolentino, à Rome.
« Nous devons mettre en lumière toute la vie du cardinal, comment il a vécu sa foi de manière complète, ses vertus, et comment il a donné sa vie pour que l’Évangile soit annoncé », a expliqué ce vendredi matin de Calloni.
Comme il le fut de son vivant, ce témoin de l’Évangile peut être encore un phare et soutenir sur le chemin du peuple armé, douloureux dans la période actuelle.